MAIS OU EST LE TAM DAO D'ANTAN ?

(1ère partie)


Parcourir les numéros du Bulletin c'est se trouver devant des paysages, des évènements, des portraits, des témoignages, des impressions, des sensations … comme devant un « puzzle ». Quand on assemble ces multiples pièces aux contours et aux reflets variés, voilà que revivent les lieux, les personnages de notre histoire commune, voilà que réapparaît le chemin du « bon vieux temps » retrouvé. Nous nous plaisons à le refaire, surpris parfois de découvrir des éléments dont on a oublié ou ignoré l'existence.

Le panneau indiquant « la côte 400 », une citroën arrêtée devant le point d'eau pour souffler et laisser refroidir son moteur, une route sinueuse, le petit village en contre-bas, l'Hôtel de la « Cascade d'Argent » surplombant la vallée, le court de tennis à côté, l'église et son parvis, le Révérend Père Gallego et son bedeau Joseph, la maison de repos de la Mission espagnole, la petite poste, le jardin d'enfants et ses agrès et balançoires, la piscine des enfants, la grande piscine dotée de deux plongeoirs et de cabines, le stade permettant tous les sports, des massifs de fleurs multicolores encadrés d'un gazon touffu, de belles villas sur les pentes de la zone résidentielle, le pont rouge enjambant l'eau vive de la « Cascade d'Argent », la roche percée et ses magnifiques orchidées, le Pic Nord, le Pic Sud, le Belvédère de Montmartre, le kiosque du Val d'Enfer, la forêt exubérante et bruissante … C'est le « Tam », comme nous l'appelions familièrement. Tout autour de son cirque, le long de ses sentiers voltigent nos souvenirs comme les merveilleux papillons et les coccinelles dorées que nous attrapions avec nos chapeaux.

La mémoire que nous en gardons s'accroche tout autant à notre enfance qu'à notre adolescence, à des événements ou à des dates précises. Les années passant, des recherches aidant, on peut remonter le cours du temps, des siècles, à la recherche de son histoire.

 

UNE TERRE DE LEGENDE

Au IIIème siècle avant Jésus-Christ, le roi Hùng Triêu escalada le massif du Tam dao pour solliciter des Dieux la grâce d'avoir un héritier mâle. En revenant de son pèlerinage, il rencontra au pied de la montagne une jeune fille d'une grande beauté, San Diu. Il l'amena dans sa capitale. Un an plus tard, elle enfanta celui qui devait devenir le roi Hùng Nghi. C'était en réalité une déesse. Dès qu'elle eut assuré la pérennité de la dynastie des Hùng, San Diu s'en retourna dans la montagne. Après avoir laissé les traces de son existence terrestre avec l'empreinte de ses doigts effilés sur un énorme bloc rocheux, elle disparut à jamais …

Pour honorer sa mémoire, le roi Hùng Triêu fit construire un temple sur le plus élevé des trois pics du massif montagneux. C'est le Temple de Tây Thiên auquel on accède par un escalier de pierre de plus de 8 km. Ce temple majestueux, situé dans un paysage superbe baigné de mysticisme est toujours très fréquenté par les vietnamiens (1). Des pèlerins viennent demander un enfant à la « Mère de la Patrie », d'autres la prient pour obtenir le bonheur, l'argent et la santé. Mais à Tây Thiên , pèlerins et promeneurs peuvent rencontrer, certains jours, des créatures étranges : des hommes fardés habillés en femmes jouant, à prix d'or, les intermédiaires entre les vivants et l'au-delà. En pleine nuit on peut voir, paraît-il, dans le temple à la lueur des chandelles, des dévotes à l'abri des regards derrière un voile s'entretenant avec un mari ou un fils disparu … Quant aux amoureux de la nature , les baignades dans la « Cascade d'Argent »  dont le vrombissement se mêle au chant ininterrompu des cigales leur offrent des joies que nous avons connues, jadis ! Toute proche, se trouve la station du Tam dao, un site découvert il y a cent ans.

 

NAISSANCE D'UNE STATION D'ALTITUDE

En octobre 1903, le Gouverneur Général Paul Beau chargea le commandant Leblond, chef du bureau militaire, de rechercher dans la partie montagneuse de la province de Vinh yên un emplacement pas trop éloigné de Hanoi, pour doter le Tonkin d'une station d'altitude comportant un sanatorium . Une équipe composée du chef d'escadron d'Artillerie coloniale Ducret, du médecin-major Paucot et du capitaine Bonnet, détaché du Service géographique, partit explorer le massif du Tam dao dont le nom (« les trois îles », en vietnamien) évoque ses trois sommets, émergeant d'une mer de nuages. Il y a cent ans, le 12 juin 1904, ces explorateurs découvrirent un site répondant aux critères fixés en haut lieu :

- Accessibilité sans problème majeur. Ce lieu se trouve à 90 km au nord-ouest de Hanoi et à 14 km de Vinh yên où, à cette époque, passait déjà un tronçon de la voie ferrée du Yunnan, alors en construction ;

- Altitude requise pour la création d'une station de montagne. Dépendant de la Chaîne annamitique, son point culminant atteint 1400 m ;

- Un climat tonique et vivifiant, des forêts abritant une faune et une flore particulièrement riches, offrant la possibilité de nombreuses randonnées pédestres ;

- La salubrité : absence de paludisme ;

- Un cadre pittoresque. Constituant un demi-cirque dans un écrin forestier, ce lieu est traversé en son milieu par une belle cascade dont l'eau limpide lui a fait donner le nom de « Cascade d'Argent » par ses découvreurs. Par temps clair, de là-haut, on peut admirer la naissance du delta à Viêt tri, au confluent des « Trois rivières », dans un infini de rizières. Dans le lointain, les sommets du Mont Ba vi et des montagnes dominant le bassin de la Rivière Noire. Plus au sud, la dentelle de la baie d'Ha long terrestre se dessine sur l'horizon.
C'est ainsi qu'est née la célèbre station du Tam dao, dont l'édification fut très rapide. Son apogée se situe dans les années 40. Selon les récits des Alasiens qui s'y sont rendus ces dernières années, son changement est total.

 

MAIS LE « TAM » DEMEURE EN NOUS

Dans notre histoire commune, que de souvenirs y sont attachés ! Souvenirs de vacances heureuses dans ce paradis pour les enfants, souvenirs studieux des années scolaires de 1943 à 1945. Après les premiers bombardements de Hanoi par les américains, les 10 et 12 décembre1943, ont débuté les évacuations. Les établissements d'enseignement primaire, primaire supérieur et secondaire de Ha noi et Haiphong ont été fermés, dont notre lycée. Les études réorganisées dans d'autres centres (Dalat, Samson, Ha dong , Tam dao …), nous ont fait connaître notre premier exode. Familles séparées, amis désormais au loin.
Entre l'Hôtel de la « Cascade d'Argent », les villas, les bâtiments disponibles , des constructions aménagées en classes, le « Tam » se transforma en annexe du Lycée Albert Sarraut Bon nombre d'entre nous se souviennent avec précision de ces années qui nous ont marqués à tout jamais. Le 9 mars 1945 sonna, hélas, le glas du « TAM » Son histoire vaut la peine d'être contée. N'hésitez pas à prendre la plume. Ainsi pourrions-nous, ensemble et en dialoguant, poursuivre cette balade à travers le temps et l'espace.

Louise Brocas

(1) Pour y parvenir, prendre la direction du Tam dao. A Dên thong , une marche de trois heures sur des pentes à pic permet d'atteindre le temple.

Bibliographie :

Revue « Indochine » n° 153. Cf ; article : « Les stations d'altitude de l'Indochine ».

 

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